- Par Louis Leconte
Ce samedi 20 mai, la salle Buñuel était quasi comble pour découvrir la version restaurée de Classe tous risques (1960), le second film de Claude Sautet (Les Choses de la Vie (1970), Max et les Ferrailleurs (1971), César et Rosalie (1972)) en tant que réalisateur. Le film retrace le parcours d’Abel Davos, interprété par Lino Ventura (Les Tontons flingueurs (1963), Le Clan des Siciliens (1969)), ancien gangster en cavale après avoir été condamné à mort par contumace. Réfugié en Italie avec sa famille, Davos décide de revenir clandestinement en France et fait appel à ses anciens amis pour l’y aider. Trop lâches pour aller eux-mêmes en Italie, ces derniers préfèrent y envoyer un certain Éric Stark, campé par un jeune Jean-Paul Belmondo (Pierrot le Fou (1965), Le Professionnel (1981)). Les deux hommes se retrouveront rapidement seuls face à l’adversité.
Claude Sautet et Lino Ventura se sont rencontrés en 1958 sur le tournage du Fauve est lâché (1959) de Maurice Labro. Forts d'une bonne entente et d'un petit coup de pouce du réalisateur Jacques Becker qui conseilla à Ventura de poursuivre sa collaboration avec Sautet, les deux hommes se lancèrent dans le projet d'adapter le roman de José Giovanni, Classe tous risques (Gallimard, 1958), pour lequel Ventura se prit de passion. La présence de Belmondo dans le film n’a en revanche pas coulé de source. De fait, l'histoire raconte que les producteurs ne voulaient pas du jeune Belmondo, alors inconnu du public, pour interpréter le rôle d’Éric Stark. C'est à l'insistance catégorique de Ventura que nous devons de voir pour la première fois réunis à l'écran ces deux mythes du cinéma français.
La copie projetée fut magnifiquement restaurée par les studios TF1, l'occasion pour Thierry Frémeaux, Délégué Général du Festival de Cannes, d'insister sur le fait que les cinémathèques et leurs laboratoires ne sont plus les seuls acteurs à travailler à la réactivation du patrimoine cinématographique.
Sorti la même année qu’Á bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard, le film de Sautet aurait davantage à voir avec ce que les jeunes Turcs des Cahiers du Cinéma (Truffaut, Chabrol, Rohmer, etc.) appelaient autrefois le "cinéma de papa". (Il est d'autant plus intéressant de comparer les deux films que ceux-ci ont en commun d'aborder le genre policier et de compter Jean-Paul Belmondo dans leur casting.) Là où le premier film de Godard était une révolution formelle (jump-cut, travelling à la main, regard caméra, mise à mal de la narrativité, etc.), la mise en scène de Sautet dans Classe tous risques demeure plus traditionnelle, mais, néanmoins, de très bonne facture.
Les scènes de poursuites du début du film (qui ne préfigurent en rien le rythme plus calme qui prévaudra par la suite) sont haletantes et réalisées avec un certain brio. Le choix de privilégier les plans larges pour toujours situer les personnages dans l’espace et la maitrise rythmique du montage et du découpage insufflent aux deux scènes de courses poursuites au début du film (il n’y en aura plus par la suite) - l’une à pied, l’autre en voiture - une réelle tension qui happe les spectateurs dans le récit. Le réalisateur parvient également par son découpage à nous faire ressentir les enjeux affectifs animant les différents personnages. Mentionnons pour l'illustrer la scène dans laquelle Abel confronte ses amis pour leur couardise : le plan embrasse d'abord les quatre anciens amis, puis, les isolent progressivement dans le cadre, laissant finalement Abel, seul, au milieu d'un plan d'ensemble à l’intérieur du bar, indiquant par là que le personnage de Ventura est désormais seul au monde. Cette description des rapports interpersonnels dans le milieu du vieux banditisme est sans doute l'élément le plus intéressant du film. Bien qu'empruntant au genre du film policier, Claude Sautet ne laisse à voir l'enquête policière que sporadiquement pour se concentrer sur la relation entre ses différents personnages.
Sorti la même année qu’Á bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard, le film de Sautet aurait davantage à voir avec ce que les jeunes Turcs des Cahiers du Cinéma appelaient autrefois le "cinéma de papa".
Claude Sautet dresse à travers le personnage d’Abel le portrait d’un homme viril et misogyne, qui n’est ni un bon mari (il est responsable de la mort de sa femme), ni un bon père (il abandonne ses enfants). Le réalisateur semble donc consciemment faire de son protagoniste un anti-héros auquel le spectateur ne peut que difficilement s’identifier, même s’il cède parfois à la tentation de romantiser le personnage de Ventura (notamment dans cette scène où Abel, assis au bord de la mer, jette un regard mélancolique vers l’horizon, le tout recouvert par une musique romantique). Dès lors que Sautet critique explicitement la misogynie de son personnage, qui participe à sa caractérisation de malfrat, il est intéressant de questionner le décalage qu’il peut y avoir entre l’intention d’un réalisateur et la réception spectatorielle. De ce point de vue, la projection du film fut l’occasion d’interroger le rire du public cannois : lorsque celui-ci s’esclaffe d’une remarque misogyne proférée par le personnage de Ventura, le fait-il au premier ou au second degré ? Rigole-t-il avec ou contre la misogynie d’Abel ? Le doute est permis.
Claude Sautet dresse à travers le personnage d’Abel le portrait d’un homme viril et misogyne auquel le spectateur ne peut que difficilement s’identifier.
Notons enfin que le film contient quelques coups de forces dialogiques, dont certaines répliques n'auraient pas dénoté dans un film écrit par Michel Audiard (rappelons que Claude Sautet a écrit le scénario). L’intelligence dans l’écriture des personnages et des dialogues vient s’ajouter à la maitrise de la mise en scène et à la façon dont Sautet s’approprie les codes du film policier pour se concentrer sur les enjeux affectifs de ses personnages, et finalement aboutir à un second film très réussi que notre équipe ne peut que recommander aux lecteurs et aux lectrices de (re)découvrir, et si possible, dans cette très belle version restaurée.
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