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Cannes 2023 célèbre le regretté Jean-Luc Godard

Dernière mise à jour : 27 mai 2023

- Par Louis Leconte


Cette année, le Festival de Cannes a décidé de célébrer (il ne s’agit pas d’un hommage, mais bien d’une « célébration » insiste Thierry Frémeaux, Délégué Général du Festival) le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard (décédé le 22 septembre dernier à Rolle, en Suisse) à travers trois projections spéciales dans le cadre de la sélection Cannes Classics. Ainsi, en plus d’une projection de la version restaurée du Mépris (1963) le mercredi 17 mai, était projeté ce dimanche 21 mai, en avant-première, le nouveau documentaire Godard par Godard réalisé par Florence Platarets, suivi d’une projection de la bande-annonce du dernier film sur lequel travaillait le cinéaste de la Nouvelle Vague et qui ne verra malheureusement jamais le jour, Drôles de Guerres.


Jean-Luc Godard (1930-2022)

Tous les éléments étaient réunis pour faire de cette séance du dimanche 21 mai un événement spécial. D’abord, le choix d’organiser cette double projection dans la salle préférée de « JLG » : le Théâtre Claude Debussy. Ensuite, le fait que de nombreux grands noms du cinéma se soient déplacés pour l’occasion. Étaient, entre autres, présents : Costa-Gavras, Gaspard Noé, Jim Jarmusch, Albert Serra et Pedro Costa. Tous sont venus rendre hommage à Godard et apprécier le privilège de voir une ébauche du dernier projet du cinéaste. Enfin, la longue et tortueuse relation qui lie Jean-Luc Godard au Festival de Cannes (sur laquelle le documentaire Godard par Godard revient en partie) et l’importance du cinéaste dans l’histoire du 7e Art ont insufflé à la séance une émotion particulière. Comme l’a joliment dit Fabrice Aragno, proche collaborateur de Godard qui a accompagné la projection de ses derniers films à Cannes, alors que le cinéaste vieillissant préférait rester chez lui en Suisse : « cette fois, il n’est plus là, mais il est vraiment avec nous ».



Godard par Godard de Florence Platarets


Jean-Luc Godard (1930-2022)

Le film se propose de parcourir de façon chronologique la vie et l’œuvre de Jean-Luc Godard à travers une juxtaposition d’images d’archives. La narration est prise en charge par les extraits d’entretiens d’époque que Godard et certains de ses acteurs (entre autres, Claude Brasseur, Isabelle Huppert, Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Jacques Dutronc) ont accordés au fil du temps et des projets du cinéaste. Le film est divisé en chapitres et structuré autour de certaines œuvres phares du réalisateur (À bout de Souffle, Une femme est une femme, Le Mépris, Bande à part, La chinoise, Tout va Bien, Détective, etc.).

De cet assemblage ressort une certaine idée du rapport que Godard entretenait avec le cinéma. Ainsi, pour celui-ci, « le cinéma, c’est peindre des choses » et dès lors, « le zoom est l’ennemi du cinéma » puisqu’ « un peintre n’a pas de zoom ». François Truffaut reprend le parallèle avec la peinture pour nous donner une clé d’appréhension de l’œuvre de Godard : comme un peintre qui produit un nombre fini de toiles cohérentes entre elles pour une exposition, l’œuvre du cinéaste franco-suisse doit être considérée par bloc de deux, trois ou quatre films. Chaque année de production cinématographique, composée donc de plusieurs films, synthétiserait un instant de la vision du monde du cinéaste. Le documentaire rend compte de cette évolution dans l’œuvre du cinéaste, notamment dans son rapport à l’engagement politique. La radicalité a, dès le début, caractérisé le travail de cinéaste de Godard, mais elle fut d’abord principalement esthétique. Il fallut plusieurs années avant que ce dernier ne mette sa radicalité au service de l’engagement politique. Le tournant se serait opéré, d’après le documentaire, aux alentours du film La Chinoise qui sortit en 1967 et raconte la vie d’un groupe de jeunes gens tentant d’appliquer les principes maoïstes.


La force du film est de ne pas imposer au spectateur une vision définitive de qui était Godard

Claude Lelouch, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Louis Malle et Roman Polanski en mai 1968 à une conférence de presse pendant le festival de Cannes

Cet engagement politique du réalisateur trouve dans le documentaire de Florence Platarets son point d’acmé dans la manifestation organisée par Godard, Truffaut et d’autres cinéastes (parmi lesquels Milos Forman, Roman Polanski, Carlos Saura, Alain Resnais) lors du Festival de Cannes de 1968. Par solidarité envers les mouvements contestataires de Mai 68, le groupe de cinéastes dissidents est parvenu à interrompre le Festival cinq jours avant sa date de clôture officielle, malgré la résistance farouche de Robert Favre Le Bret, alors directeur délégué du Festival. Des images d’archives désormais célèbres et présentes dans le documentaire montrent JLG accompagné de ses collègues en train d’empêcher la projection du film Peppermint frappé (1967) de Carlos Saura. On y voit Godard prononçant sa fameuse invective adressée aux partisans du maintien du Festival : « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travelling et gros plans ; vous êtes des cons ! » (phrase qui aujourd’hui encore lui a valu l’assentiment du public cannois qui l’a gratifié d’une salve d’applaudissements). Plus généralement, les liens entre Jean-Luc Godard et le Festival de Cannes n’ont pas toujours été simples (le réalisateur n’a par exemple jamais été primé à Cannes, malgré la présence récurrente de ses films en sélection) et le documentaire ose traiter la question.


Finalement, la force du film est de ne pas imposer au spectateur une vision définitive de qui était Godard, mais plutôt de laisser celui-ci composer sa propre image du cinéaste en le laissant piocher parmi ses différentes facettes. Celles-ci s’expriment à travers son propre témoignage et celui de ses proches qui, pris isolément, fonctionnent comme autant de fragments d'une multitude de portraits possibles de l’homme et du cinéaste que fut Godard.



Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres » de Jean-Luc Godard


Affiche officielle du film

Ce qui restera donc comme le dernier projet de Jean-Luc Godard est un montage constitué d’une suite de d’images fixes contenant des collages de photographies et d’images annotées, accompagnées tantôt par de la musique classique, tantôt par des extraits de conversations non identifiées. Ce matériel cryptique laisse difficilement imaginer ce qu’aurait pu donner le film une fois terminé. Seul un bref passage sonore de Godard lui-même parlant de son film nous éclaire brièvement sur le projet du cinéaste : il s’agissait d’adapter le recueil de nouvelles Faux Passeports (Corrêa, 1937) de l’écrivain belge Charles Plisnier, lauréat du prix Goncourt en 1937. Difficile pour nous d’en dire davantage sur cet objet étrange, si ce n’est l’émotion qu’il suscite en nous rappelant que nous n’éprouverons plus jamais la joie de découvrir un nouveau film de Jean-Luc Godard. Heureusement, l’œuvre dense et multiple du réalisateur n’a pas fini de nous occuper ni de nous surprendre.



Carton tiré du Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres »




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