- Par Marie Lloret
Afin de contribuer et de promouvoir au mieux la seconde vie du film sud-africain Sarafina! de Darrel Roodt (1992), Cannes Classics nous a offert une projection qui nous rappelle que certaines révolutions résonnent encore aujourd'hui et avec elles, leur lot de questionnements sur des rapports de domination toujours bien présents.
Ici, c'est l'apartheid qui nous est raconté sur fond de comédie musicale, une idée originale du compositeur Mbongeni Ngema, reprise au cinéma par le réalisateur Darrel Roodt – Little One (2012), Treurgrond (2015) – qui signe ici son œuvre la plus poignante et la plus reconnue par ses paires.
On y suit la vie d’étudiant·e·s et professeur·e·s d'une école de Soweto (Afrique du Sud). Tout élément rappelant les racines africaines des jeunes étudiants a été banni des manuels scolaires par la milice armée des Boers qui s’assure que les professeurs se restreignent à une histoire blanche et colonialiste qui tait les violences faites aux racines culturelles d'un pays tout entier.
La star de l'école, la belle Sarafina, interprétée par l'actrice Leleti Khumalo – Yesterday (2004), Hôtel Rwanda (2004), rêve d’autre chose pour elle-même et ses proches. La jeune femme a pour idole Nelson Mandela (qui est à la veille de sa libération) et porte en elle l’espoir de voir son pays libéré de la ségrégation raciale.
C'est donc dans un climat électrique que l'on chante l'espoir dans les rues de Soweto, le tout encouragé par une professeur engagée Mary Masembuko dont le rôle est porté par l'iconique Whoopi Goldberg – La Couleur pourpre (1985), Sister Act (1992). C'est au rythme des chants, des violences et de l'espoir qu'un nouveau jour se lève sur cette ville ravagée par la division raciale. La révolution des jeunes écoliers nous est contée sans aucune forme de surréalisme mais, au contraire, au plus près de la réalité historique des faits qui nous sont montrée. Les scènes de violences ne nous cachent aucunement les corps enfantins qui tombent sous les balles et les revendications de leur identité qui finissent bien souvent dans le sang, mais celles-ci sont toujours ponctuées de chants où les écoliers sont mis en scène debout et fiers d’élever leur voix au-dessus de l’horreur.
L'idée d'allier danses et musiques sur fond de violences raciales est un parti pris qui n'a pas son pareil et qui donne un objet cinématographique singulier.
De plus, le film dépeint le portrait d’une jeune femme, Sarafina, déterminée à porter ses valeurs au-delà de l’ordre moral, elle ira jusqu’à assister au meurtre lors d’une heurte d’un complice de la milice des Boers en affirmant que la violence et la haine sont telles, qu’il n’y a aucune place pour le regret. D’ailleurs, ses actes de violence ne seront cela jamais condamnés par ses proches et surtout pas par sa mère, interprétée par la chanteuse et activiste Miriam Makeba, qui finira par lui chanter sa force et son amour.
En conclusion, signalons que trente ans après la fin de l’apartheid, le film parvient à nous faire revivre des révoltes raciales qui résonnent aujourd’hui avec les violences policières systémiques aux États-Unis sur les personnes noires et le militantisme porté par le mouvement Black Lives Matter qui lutte pour que cessent les disparités qui perdurent dans beaucoup de pays occidentaux où le colonialisme et sa brutalité restent absents des manuels scolaires.
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